PETITE HISTOIRE N°26

 
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Rien n’avait été facile mais Nestor avait tenu bon. Un mois qu’il se préparait, trente interminables journées à inspecter chaque placard le soir venu, à voler peu à peu dans les réserves, en se débrouillant pour que ses prélèvements ne se remarquent pas. Il avait procédé de la même façon pour l’équipement indispensable.
Depuis le temps qu’ils devaient rester chez eux, le matériel de randonnée rangé dans la cave était couvert de poussière.
Personne ne penserait à le vérifier.
Il était prêt.


Il quitta son domicile au milieu de la nuit, sans faire ses adieux ni laisser de mot. Seul le chien se manifesta dans son panier pour le saluer d’un bref battement de queue. Il embrassa la tête si douce avant de traverser le couloir et de refermer la porte sans un bruit derrière lui.
En franchissant le portail il eut un léger pincement au cœur, se retourna une dernière fois vers la maison qui l’abritait depuis sa naissance, tira le portillon et se mit en route d’un pas qu’il aurait aimé plus résolu.


La sueur dégoulinait dans son dos quand il parvint au sommet.
La nuit avait été rude.
La traversée de la ville tout d’abord, puis la dangereuse marche en terrain découvert jusqu’à ce qu’il parvienne sous le couvert des arbres qui précédaient la montée. La lueur de la pleine lune lui avait permis de se diriger en utilisant très peu sa lampe torche.


Une pâle lueur apparaissait maintenant à l’horizon.
Debout sur la cime, il savourait sa victoire quand le sifflement reconnaissable entre tous le fit sursauter.
Il plongea au sol et s’aplatit autant que possible sur le rocher, priant pour que ses vêtements et son sac couleur de terre le rendent invisible. Le drone passa au-dessus de lui et poursuivit son vol sans marquer aucun ralentissement.


Soulagé, il s’assit et retira son sac à dos. Le soleil se levait et ses yeux émerveillés découvraient la baie de San Francisco. Engloutie sous le nuage qui la recouvrait depuis maintenant huit mois, elle ne dévoilait que le haut des deux immenses piliers du Golden Gate bridge. L’aube naissante déployait ses dégradés de couleurs et irisait le nuage de ses roses et violets. 


Il ouvrit son sac et en sortit le testeur d’atmosphère fourni par le gouvernement. Comme il s’y attendait, l’écran affichait le résultat de toxicité habituel. Il dégagea l’appareil qu’il avait lui-même fabriqué de la poche latérale, le réinitialisa puis l’actionna.
L’air était respirable, ni plus ni moins que dans son jardin.


Nestor retira son masque et inspira profondément, les narines saturées des odeurs dont il était privé depuis de si longs mois. Il inhalait profondément, sans crainte aucune de s’effondrer en d’horribles convulsions avant de rendre l’âme, ainsi qu’ils l’avaient si souvent vu à la télévision.
La fraîcheur de l’air sur ses joues le ravissait, il écarta les bras et tourna en riant sur lui-même plusieurs fois avant d’être obligé de s’asseoir, ivre des senteurs de terre et de forêt.
Il goûtait le souffle du vent, emplissait ses poumons des fragrances de la nature qui l’environnait, savourant pleinement ce moment de retour à la vie.


Au bout de longues minutes de pur plaisir, il se désaltéra, puis consulta une carte de la région, observa les alentours avec ses jumelles et décida de la direction à prendre.
Il rangea son matériel, se leva, ajusta le sac sur son dos et se remit en route.


Dans deux jours, il aurait rejoint le groupe de résistants.